ARTISTES
MARIE SIRGUE
FINGERTIPS BEAUTY – 2024
Marie Sirgue choisi d‘utiliser le Nail Art, ou l’art de peindre les ongles, pour développer un projet au croisement de l’émail sur métal et de la porcelaine émaillée, questionnant ainsi leurs procédés techniques respectifs, leurs esthétiques (traditionnelle et contemporaine), et leurs champs d’expression au sein d’un monde globalisé. Elle réalise qu’entre l’émail sur porcelaine ou sur métal et le vernis à ongles, les gestes des technicien.nes sont similaires, avec des travaux successifs de pose de matière et de cuisson. Elle cherche donc à mêler ces disciplines, symboliquement, techniquement et esthétiquement. Ce rapprochement est un prétexte pour faire dialoguer, des mondes distincts, voire, par certains aspects, antinomiques. Fingertips Beauty est donc le fruit d’une mise en commun de différents savoir-faire, une pièce à multiples facettes qui s’expose à la façon d’une onglerie. L’ongle peint n’est plus seulement une parure féminine à fixer sur le bout des doigts, mais un outil de rencontres artistiques, sociales et générationnelles.
Afin d’inscrire Fingertips Beauty dans l’univers très connecté du Nail Art, Marie Sirgue convie Cristiano Codeço de Amorim, artiste qui influence sous le nom de La Guesh. Iel nous présente son ressenti sur les pièces avec une vidéo review intitulée : “Je juge les nails de Marie Sirgue”. Chaque série d’ongles passe donc sous le feu de sa critique plutôt acerbe mais non dénuée d’humour. Cette vidéo peut se définir au premier abord comme étant du divertissement sur YouTube. Toutefois, on critique de l’art contemporain avec les codes des réseaux actuels.
Cette vidéo critique, de Marie Sirgue et Cristiano Codeço de Amorim fait partie intégrante de l’œuvre elle-même. Cette mise en abîme souligne le paradoxe contemporain qui veut qu’une création soit reconsidérée via les réseaux sociaux et via un jeu de collaboration entre artistes, influenceur.es, industriels…
Sur fond de velours noir, une main géante est figurée par une série de pièces porcelaine et émail. Ici, les arts du feu limougeauds évoquent un monde globalisé de marchandisation et de pacotilles.
Dans un jeu de va-et-vient d’émail à résine et de résine à émail, Marie Sirgue propose à Gossip Beauty (prothésiste ongulaire) de s’inspirer de l’esthétique de l’émail limousin pour réaliser des faux ongles. Elle invite ensuite Mauricette Pinoteau et Lise Rathonie à les reprendre à une autre échelle (ongles de 10 cm) et à partir d’autres techniques.
Mauricette Pinoteau travaille dans la tradition de la manufacture Camille Fauré soit avec du paillon d’argent, de la superposition de couleurs en transparence et de l’émail en relief. Ana de la Reine des Neiges est une figure, issue de l’industrie culturelle contemporaine et peut être considérée comme un avatar de Fabiola (Sainte représentée sur des petits médaillons), c’est ce qui apparaît dans le travail de Lise Rathonie. Celle-ci, avec des émaux opales (Blanc de Limoges) finement broyés et étirés, en restitue la couleur de la peau.
Avec les ongles en porcelaine, Marie Sirgue questionne la dimension industrielle du savoir-faire limousin en réalisant, avec Frédéric Tardieu et Gaétan Monceret du CRAFT, des moules industriels. Elle met en évidence la technique du « posé main » en détournant des vieilles chromographies d’art de la table et celle du « troisième feu » (lustres, émaux petit feu…). Les manufactures d’Artoria Limoges et d’Ateliers Arquié se prêtent également au jeu avec des propositions de « décor sur ongles » dans différentes techniques telles que : bleu de four, biscuit, lustre, dorure.
En somme, Fingertips Beauty est une invitation à repenser notre rapport à l’objet, à l’art et à la beauté, en nous montrant que l’art peut se nicher dans les endroits les plus inattendus.
Dans le cadre de la résidence Rétroacronymie, Fingertips Beauty bénéficie du soutien artistique et technique du CRAFT et du SPEF. Cette résidence est un projet lauréat de l’appel à candidature Coopération, Création, et Territoires 2021 du contrat de filière d’Astre – réseau arts plastiques et visuels de Nouvelle-Aquitaine.
MARIE SIRGUE
Née en 1985 à Châteauroux, vit et travaille à Poitiers
« Ne pas considérer le réel frontalement mais chercher l’angle qui pourra le mieux évoquer sa singularité est un des fondements de ma démarche. Quand j’entreprends un projet au sein d’un territoire, je commence par l’arpenter, j’observe, je glane des images puis repars avec ma récolte pour que les choses et les pensées se relient et rentrent en collisions. Souvent, plusieurs pistes murissent en parallèle et se font écho. Pendant mes années d’apprentissage à l’école d’art de Toulouse, j’ai privilégié le moulage comme mode d’appréhension de la réalité. Reproduire, dupliquer, déformer, assembler, changer la texture… d’objets les plus divers, m’apparait aujourd’hui encore, comme une activité fondatrice de mon travail artistique. Quand j’utilise d’autres techniques (céramique, marqueterie, construction…) le principe du moulage (objet original/copie) reste au cœur de mes préoccupations. Je revendique mes œuvres comme des contrefaçons du réel. Les objets que je manipule trouvent, à travers mon geste, un nouveau statut artistique et symbolique tout en gardant la trace de leur forme originelle.
Mes pièces sont portées dans un souci de questionnement, elles sont ouvertes à différentes interprétations. La distance est de mise ainsi que la discrétion, la poésie et parfois l’humour. Je ne vais pas jusqu’à la duperie je cherche seulement à ce que mes œuvres provoquent un léger trouble. L’empreinte des hommes sur leur environnement est une des constantes de mes interrogations. La façon dont les individus façonnent ou simplement s’accommodent de leur milieu est, pour moi, source d’émerveillement autant que d’inquiétude.
Des résidences artistiques de plusieurs mois me permettent, en immersion au sein d’un territoire, de participer à la vie locale. À d’autres occasions, j’investis un lieu singulier (usine désaffectée, chapelle…) pour une création in situ. » Marie Sirgue.